Verra vs. Guardian : faut-il arrêter les crédits carbone ?

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Le 27 janvier 2023

Une récente enquête menée sur Verra, le principal fournisseur mondial de crédits carbone, a révélé que plus de 90 % de leurs crédits de compensation pour la forêt tropicale sont probablement des « crédits fantômes » et ne représentent pas de véritables réductions de carbone. Que faut-il penser des récentes allégations du Guardian à l’encontre de Verra ? Voici 5 réponses aux questions que vous vous posez peut-être.

Quel est le contexte de cette enquête contre Verra ?

Cette enquête de neuf mois a été menée par le Guardian, l'hebdomadaire allemand Die Zeit et SourceMaterial, une organisation de journalisme d'investigation à but non lucratif.

Selon les différentes études citées dans l’enquête, les crédits que Verra vérifie sont « largement sans valeur » et sont des « crédits fantômes ». En détail :

  • seule une poignée de projets de forêt tropicale de Verra ont montré des preuves de réduction de la déforestation, une analyse plus approfondie indiquant que 94% des crédits n'avaient aucun avantage pour le climat.
  • la menace pour les forêts avait été surestimée d'environ 400% en moyenne pour les projets Verra, selon l'analyse d'une étude de 2022 de l'Université de Cambridge.
  • Gucci, Salesforce, BHP, Shell, easyJet, Leon et le groupe Pearl Jam faisaient partie des dizaines d'entreprises et d'organisations qui ont acheté des compensations de forêt tropicale approuvées par Verra pour des allégations environnementales.

Qu'en dit Verra ?

Dans une réponse, Verra explique “être déçue de voir la publication d'un article […] affirmant à tort que les projets REDD+ émettent régulièrement et substantiellement des crédits carbone.” Le fournisseur de crédits carbone explique notamment que ces études aboutissent à des conclusions “erronées” car ils s'appuient sur des “contrôles synthétiques” qui ne représentent pas avec précision les conditions d'avant-projet dans la zone du projet. L’organisme rappelle d’ailleurs que “les contrôles synthétiques sont utilisés efficacement par Verra pour certains types de projets, tels que l'amélioration de la gestion forestière en Amérique du Nord. Cependant, cette approche n'est pas adaptée aux projets REDD+ en raison de la difficulté à trouver des points qui correspondent à l'intérieur et à l'extérieur de la zone du projet au début du projet.”

Faut-il être surpris de ces attaques à l'encontre des crédits carbone ?

Pas vraiment. Les accusations de mauvais usage de crédits carbone, en particulier dans les projets d’arrêt de déforestation ne sont pas aussi récentes que ce que cet article et le buzz qui l’accompagne laisse à penser. Dès leur génèse en 2003 et leur création en 2005, les projets REDD+ ont essuyé des critiques. Et, d’années en années, les critiques se sont renforcées (REDD+: A Scheme Rotten at the Core - World Rainforest Movement, The 'virtual economy' of REDD+ projects: does private certification of REDD+ projects ensure their environmental integrity?, Offsetting CO2 emissions may not be a silver bullet…).

En 2016, Laura Brimont, ancienne coordinatrice à l’IDDRI prenait l’exemple de deux projets REDD+ à Madagascar et en RDC pour expliquer pourquoi ces deux projets n’auraient pas du être certifiés :

  1. “le modèle économique des certificateurs est basé sur le nombre de crédits certifiés. Ceux-ci ont donc tout intérêt à ne pas se montrer trop contraignants vis-à-vis des porteurs de projets afin de ne pas perdre de futurs clients.
  2. Ensuite, dans des contextes d’instabilité politique et d’États fragiles, comme dans le cas de Madagascar et de la RDC, prédire avec précision une donnée aussi complexe que la déforestation est une tâche que nous savons quasiment impossible.”

Alors, le système de crédit carbone est-il à bannir ?

Pour certains, tout est à jeter dans le système des crédits carbone. Car, n’étant pas parfait, le système laisserait trop de place aux abus.

Mais le sujet est complexe et c’est pourquoi nous avons pris le temps d’écrire ces lignes. Tout d’abord, il faut retenir que ces systèmes sont virtuels. Ils se basent sur une référence, une méthode de calcul et un résultat en accord avec ces deux éléments. Qu’advient-il s’il y a un désaccord sur la référence ou sur la méthode de calcul ? Un désaccord. C’est d’ailleurs ce qui explique l’article du Guardian.

Ensuite, il faut aussi comprendre que ce système de crédit carbone est encore très limité. Il a le mérite d’exister, mais il est fondamentalement imparfait. Comme l’expliquait Laura Brimont en 2016 : “une alternative consisterait à élargir la définition de la performance à d’autres indicateurs que les crédits carbone, qui refléteraient notamment les efforts réalisés par les pays forestiers pour réduire les facteurs de la déforestation (sécurisation foncière, investissements dans des transitions agricoles moins consommatrices d’espaces fonciers, amélioration du contrôle des aires protégées, etc.)”.

En plus d’être incomplet, le système est souvent perçu comme incompréhensible ou opaque. En France, EcoTree rappelle ainsi que “rien n’est plus flou qu’un crédit carbone issu d’un projet forestier. La séquestration du CO2 se déroule pendant des décennies, tout au long de la croissance d’un arbre, non pas à la date d’achat du crédit. Il n’est, en outre, jamais garanti que le carbone stocké restera en place (c’est-à-dire dans l’arbre) suffisamment longtemps pour que le crédit carbone acquis soit efficient, car les forêts ne sont jamais à l’abri des aléas climatiques (incendies, vents violents…) de maladies ou de la déforestation liée à une activité humaine.”

Alors, on arrête de se battre contre la déforestation et on stoppe nos engagements pour la reforestation ?

Bien sûr que non. Cet article du Guardian est un énième rappel de l'importance de la transparence et de la responsabilité sur le marché de la compensation de carbone. Le “Treewashing” existe et il doit être combattu. Est-ce par exemple normal qu’un hectare de forêt non diversifié est le même poids, dans ce système, qu’un hectare de forêt diversifié ?  L'utilisation de contribution carbone pour atténuer le changement climatique est un outil, mais cela doit être fait d'une manière vérifiable, fiable et finalement efficace.  C’est pourquoi les projets de contribution carbone doivent être fortement encadrés et utilisés seulement en dernier recours, lorsqu’aucune autre solution ne permet de diminuer ou de supprimer les émissions de CO2 d’une activité humaine. La participation des entreprises à la contribution carbone globale est nécessaire pour supporter des projets à fort impact social et environnemental qui ne pourraient pas voir le jour autrement… et qui accessoirement, viendront capter du carbone dans l’atmosphère.

En ce qui concerne le système des crédits carbone, beaucoup rappellent qu’il ne faut pas forcément tout jeter d’un coup. L’enjeu est plutôt de savoir comment utiliser au mieux ce système. Gregoire Guirauden, co-fondateur de Riverse, une plateforme  de mesure, de vérification et de monétisation du carbone l’explique très bien : “La question n'est pas de savoir si les crédits carbone c'est bien ou pas bien, les crédits carbone sont un outil. C'est comme dire est-ce que la blockchain c'est bien ou pas bien, les assurances bien ou pas bien, internet bien ou pas bien. Il y a des bons et des mauvais usages de chacun de ces outils. Le crédit carbone est un moyen pour des projets de décarbonation de trouver les financements dont ils ont besoin, fournis VOLONTAIREMENT par des entreprises qui ont déjà entamées leur propre trajectoire de réduction, comme l'implique désormais la loi française.”

De fait, les projets de reforestation sont un outil important dans la lutte contre le changement climatique, mais il est clair qu'ils doivent être mis en œuvre d'une manière qui profite réellement à l'environnement, à sa biodiversité et aux communautés locales. En tant qu’acteurs de cette chaine, nous devons tenir les entreprises responsables de leurs revendications environnementales et exiger la transparence et la responsabilité sur le marché de la contribution carbone. Nous devons également veiller à ce que les projets de reforestation soient mis en œuvre de manière équitable pour les communautés locales. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons vraiment avoir un impact positif sur l'environnement et la lutte contre le changement climatique.

En conclusion, deux rappels :

  • il doit y avoir de la concertation : l’un des effets pervers du “greenwashing” est de rendre toute action douteuse, sujette à caution et à questionnement. Chaque travail de recherche apporte des solutions et des compléments. A nous tous, acteurs technologiques, chercheurs, membres de la société civile et acteurs du monde politique de savoir faire la part des choses et d’avancer ensemble avec un objectif commun.
  • il ne doit y avoir aucun doute : la meilleure tonne de carbone est celle qui n’est pas émise. Peu importe le système de crédit carbone utilisé, le référentiel de départ, la méthode de calcul. Planter des arbres n’est jamais un permis pour polluer.
Co-fondateur et CEO
Adrien Pagès
- Paris, France
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